Le 17 mai, Pierre Rigaux a dévoilé des images du plus gros élevage français de canards pour la chasse situé à Céré-la-Ronde (Indre-et-Loire). Celles-ci, obtenues par un lanceur d’alerte anonyme, montrent des canards colverts reproducteurs enfermés et concentrés dans des bâtiments. Des «conditions incompatibles avec leurs impératifs biologiques s’agissant d’oiseaux qui nagent et qui volent».
Cette vidéo est loin d’être une première pour ce naturaliste devenu depuis plusieurs années le militant anti-chasse le plus reconnu de l’hexagone. Le biologiste de formation est aujourd’hui suivi par plusieurs centaines de milliers de personnes sur les réseaux sociaux. Il est aussi cofondateur de Nos Viventia, une association pour développer la production et diffusion d’information pour l’écologie et les animaux. Entretien pour mieux comprendre son parcours et ses méthodes.
D’où vous vient votre sensibilité en faveur de la cause animale?
Je ne sais pas vraiment. Dès l’enfance, j’étais spontanément passionné par l’observation et la protection des animaux sauvages et de la nature, avant d’en faire mon métier pendant une douzaine d’années après un cursus universitaire.
Ensuite, en plus de l’écologie qui reste au coeur de mon engagement, j’ai progressivement élargi mon champ d’intérêt à ce qu’on appelle la cause animale, tout en continuant à concentrer mon action sur les sujets précis où je peux apporter une expertise, là où je pense pouvoir être le plus utile par les quelques connaissances que j’ai: principalement ce qu’on appelle la faune.
Quelles sont vos revendications?
Elles sont multiples. Je ne prétends pas avoir de revendications autres que celles déjà portées par beaucoup d’activistes depuis des années, tant sur les questions écologiques qu’animalistes. Au fond, nous devons renverser notre façon d’être au monde, encore trop basée sur une volonté de domination écrasante du vivant et de croissance infinie de notre propre espèce et de ses productions matérielles.
Quant à la chasse dite de loisir, je pense qu’on doit l’interdire dans l’intérêt des animaux concernés, dès lors qu’il s’agit d’un amusement visant à les tuer sans aucune nécessité pour les humains.
La société a-t-elle évolué ces dernières années en étant plus sensible au bien-être animal?
Il est évident que le sujet de la cause animale commence à prendre une place dans le débat public depuis quelques années, grâce à des activistes qui oeuvrent en ce sens.
C’est un préalable nécessaire à une évolution politique de notre société. Cette évolution est encore très faible, mais j’ai bon espoir qu’elle s’intensifie dans les prochaines années, sous la pression des citoyens de plus en plus informés sur le sujet.
Comment procédez-vous pour réaliser vos reportages?
J’ai commencé seul. Je suis désormais souvent accompagné, avec un effort croissant sur la sécurité, car les situations sont parfois délicates. Et je reçois de plus en plus d’images provenant de citoyens qui ont envie de rendre public ce qu’il se passe près de chez eux. Ils préfèrent le plus souvent rester anonymes par crainte des représailles.
Vous recevez aussi de nombreuses menaces sur les réseaux sociaux…
Les menaces sur moi pleuvent depuis quelques années. Je dépose régulièrement des plaintes, sans succès pour le moment. Vous connaissez la formule: d’abord, il vous ignorent, ensuite ils vous raillent, puis ils vous attaquent, et à la fin vous gagnez.
Un dialogue entre les pro et anti-chasse pourrait-il permettre d’en finir avec ce conflit?
Sur le terrain et entre les citoyens, vive le dialogue. Mais politiquement, c’est un rapport de force. Je milite pour des décisions politiques visant à interdire la chasse, en commençant par certains modes de chasse.
Donc nous devons faire en sorte que les citoyens, majoritairement opposés à la chasse, poussent les politiques en ce sens.
La plupart des chasseurs affirment être des protecteurs de la nature, déclarant notamment chasser pour réguler la faune. Qu’en pensez-vous?
Environ 95% des animaux tués à la chasse en France ne causent aucun dégât aux activités humaines. S’agissant de ceux qui en causent parfois (pour des raisons historiques et d’organisation des paysages), les problèmes pourraient être réglés d’autre façon que par la chasse de loisir qui ne parvient manifestement pas à les résoudre.
Autre argument souvent entendu: Les chasseurs – attaqués par les citadins – sont les derniers représentants de la ruralité…
Les chasseurs sont très bien implantés dans les collectivités locales, très bien organisés et groupés, si bien que leur poids politique dans la ruralité est bien plus fort que leur poids dans la population.
En réalité, les ruraux sont très majoritairement non-chasseurs et plutôt gênés par les porteurs de fusils qui investissent les sentiers pendant au moins la moitié de l’année.
Le lobby des chasseurs est très puissant en France. Pourquoi tant d’influence?
Leur organisation pyramidale, via leur Fédération nationale, fait que tous les chasseurs sont par définition représentés en haut lieu. À ceci s’ajoute leur effort important de lobbying.
Toutefois, je pense qu’une des raisons principales reste liée à l’inculture, à l’archaïsme de pensée ou au cynisme de la plupart de nos représentants politiques en matière d’écologie et d’éthique animale.
Pourtant, si les chasseurs restent nombreux, la pratique est en déclin. Le mouvement cherche aussi à se renouveler. Evoquons notamment des profils comme celui de la jeune influenceuse Johanna Clermont, égérie des publicités de Zone 300, plateforme de films de chasse et de pêche…
Les chasseurs sentent bien que l’évolution de la société vers un meilleur respect des animaux, vers plus d’écologie, leur est défavorable. Alors ils tentent d’adapter leur communication et leur positionnement pour gagner en respectabilité et conserver leur place politique.
Entre autres stratégies en ce sens, il y a évidemment les réseaux sociaux qui leur permettent de promouvoir des images policées et faussement modernes de la chasse, en tentant d’évacuer le coeur de la question (la souffrance et la mort inutile de millions d’animaux, le déclin d’espèces menacées toujours chassées, etc.).
Il est presque amuser de constater que parallèlement à ces images assez travaillées, les dirigeants de fédération de chasse peinent à contenir la diffusion et la prolifération d’images peu valorisantes postées par les pratiquants eux-mêmes qui sont souvent fiers d’exhiber des cadavres sanguinolents et autres tableaux de chasse façon boucherie, malgré les consignes données par les têtes pensantes du lobby.
Vous publiez un livre «Ma Campagne» (Belin). Que peut-on y lire?
De nombreuses informations sur la vie des bestioles et des plantes des campagnes, et des clés pour comprendre les liens entre cette biodiversité de tous les jours et les grands enjeux écologiques. Et comment agir.
Le livre est organisé en une cinquantaine d’entrées thématiques dans lesquelles on peut piocher. Je trouve que les illustrations d’Arnaud Tételin donnent un style assez unique. J’espère réussir à donner envie de s’intéresser au vivant et de passer à l’action.
Comment vous soutenir?
En partageant mes enquêtes sur les réseaux sociaux, en diffusant les arguments que je développe. Et pour les personnes qui le peuvent, en me soutenant financièrement. Mes actions ne sont possibles que par les dons que je reçois.
Quels sont vos prochains projets?
Plusieurs enquêtes en cours et je réfléchis sur la façon d’améliorer la production et la diffusion d’information, car l’objectif est toujours de faire bouger la société en faisant émerger des sujets dans le débat public pour obtenir des avancées politiques.
Pour le suivre:
– Son site internet
– Son compte Facebook
– L’association Nos Viventia