Je n’ai pas trouvé de raisons de devenir végane du jour au lendemain. C’est à mesure que je prenais conscience des différents problèmes causés par ce morceau de steak dans mon assiette que mes choix alimentaires ont lentement changé. D’abord j’ai abandonné la viande rouge puis les produits laitiers, le poulet, le poisson et enfin les œufs.
J’ai longtemps été ignorante
J’ai eu un premier aperçu de ce qu’est l’abattage industriel en lisant Fast Food Nation, dans lequel j’ai découvert comment les animaux sont traités dans les élevages en batterie. J’ai été horrifiée, et c’est peu dire. Avant cela, c’est honteux, mais je n’en avais aucune idée.
Il se peut qu’une partie de mon ignorance provienne d’une vision naïve que j’avais sur la façon dont mon gouvernement protège les animaux qu’on élève pour la nourriture. Je pouvais comprendre que la maltraitance des animaux et le saccage de l’environnement aient lieu aux États-Unis, mais sans doute que nous, les Canadiens, étions différents. Non?
Les élevages intensifs sont très problématiques
La réalité est qu’il n’y a pratiquement pas de loi au Canada pour protéger les animaux de ferme des pratiques abusives dans les élevages industriels. Les animaux peuvent être battus, mutilés et entassés dans des conditions cauchemardesques pendant leur courte existence. Les normes que l’Agence canadienne d’inspection des aliments demande aux abattoirs de respecter se perdent souvent dans la course à la production de viande.
Le peu de protection législative qui demeure est même en train de s’éroder à mesure que notre gouvernement amenuise la réglementation sur les abattoirs. La réalité est que les élevages intensifs au Canada, tout comme dans d’autres régions du monde, sont liés à un grand nombre de graves problèmes environnementaux, sanitaires, de bien-être animal et de durabilité de la communauté rurale.
Alors que l’information sur les pratiques de l’élevage industriel, son impact sur notre environnement, la santé humaine et le bien-être des animaux ont fait leur chemin vers le public, de plus en plus de personnes, dont des musulmans, optent pour une alimentation végétale.
Être vegan ou végétarien, est-ce en contradiction avec le fait d’être musulman?
Assez curieusement, l’idée que des musulmans soient végétariens ou vegans a suscité un certain débat. Des érudits islamiques tels que le défunt savant égyptien Gamal al-Banna s’accordent à dire que les musulmans qui choisissent le végétarisme ou le végétalisme peuvent le faire pour un certain nombre de raisons, parmi lesquelles figurent l’expression personnelle de la foi ou de la spiritualité.
Al-Banna a déclaré: «Quand on devient végétarien, c’est pour un certain nombre de raisons: la compassion, l’environnement et la santé. En tant que musulman, je crois que le Prophète (Mahomet) voudrait des disciples en bonne santé, éprouvant de la compassion et ne détruisant pas notre environnement. Si quelqu’un pense que ne pas manger de viande permet d’arriver à tout cela, ce n’est pas comme si cela devait le conduire en enfer. C’est peut-être la bonne chose à faire.»
L’américain Hamza Yusuf Hason, un érudit musulman populaire, a mis en garde contre les dangers éthiques et environnementaux de l’élevage industriel et les problèmes sanitaires de la surconsommation de viande.
Yusuf estime que les retombées de la production de viande industrielle – le mauvais traitement des animaux, l’impact négatif sur l’environnement et la santé humaine, le lien d’un tel système avec l’aggravation de la faim dans le monde – sont en contradiction avec sa compréhension de l’éthique islamique.
Selon lui, les droits de l’animal et la protection de l’environnement ne sont pas des concepts étrangers à l’islam, mais relèvent d’un mandat divin. Et ses recherches indiquent que Mahomet et les premiers musulmans étaient presque végétariens, leur consommation de viande étant occasionnelle.
Le végétarisme n’est pas un nouveau concept pour certains adeptes du soufisme comme Chishti Inayat Khan, qui a fait connaître les principes Soufis en Occident, ou le défunt soufi Shaykh Bawa Muhaiyaddeen, qui n’a pas autorisé les produits d’origine animale dans sa confrérie, ou encore Rabia de Basra, l’une des saintes femmes soufis les plus vénérées.
L’environnement, les animaux et l’islam
À l’opposé, on trouve des opinions de savants comme ce membre du Ministère égyptien des dotations religieuses qui croit que «les animaux sont les esclaves des fins humaines. Ils ont été mis ici pour nous les mangions, donc parler de végétarisme est anti-islamique.»
Ce triste point de vue sur les animaux, considérés comme des choses à utiliser et à consommer par les humains, existe au sein de nombreuses cultures. Je crois que cette idée, chez certains musulmans, résulte directement d’une mauvaise interprétation de la notion de khalifa dans le Coran.
«Ton Dieu dit aux anges: J’enverrai mon vicaire [khalifa] sur la terre.» (Coran 2:28)
«Il vous a établis sur la terre après les générations passées [traduction: C’est Lui (Dieu) qui vous a fait les successeurs (khalifa) sur terre]. Il élève les uns au-dessus des autres; ses faveurs sont une épreuve. Il est prompt à punir; mais il est clément et miséricordieux.» (Coran 6:165)
Une lecture rapide de ces versets peut conduire à la conclusion que les humains sont supérieurs aux autres créatures. Par conséquent, avoir le droit d’utiliser les ressources de la terre, dont les animaux non-humains, serait à la discrétion humaine.
Nous oublions la compassion et la miséricorde
Heureusement, des savants sont en désaccord avec cette interprétation rigide et dure. Deux de ces chercheurs, qui sont aussi des chefs de file dans le domaine de l’éthique environnementaliste islamique, sont le Dr Seyyed Hossein Nasr, professeur d’études islamiques à l’université George Washington et philosophe islamique de premier plan, et le Dr. Fazlun Khalid, directeur-fondateur de la Fondation islamique pour les sciences écologiques et environnementales. Leur interprétation, largement acceptée, se fonde sur la compassion et la miséricorde.
Le mot arabe «khalifa», tel que l’interprètent le Dr. Nasr et le Dr. Khalid, a le sens à la fois de gardien, d’administrateur et d’intendant maintenant l’équilibre et l’intégrité de la terre. Ces chercheurs estiment que le concept de khalifa représente l’alliance primaire (l’accord) que nos âmes ont contractée de plein gré avec le Créateur Divin et qui régit chacune de nos actions avec le monde.
«Nous avons proposé la foi [traduction: la responsabilité] au ciel, à la terre, aux montagnes : ils n’ont osé la recevoir. Ils tremblaient de porter ce saint fardeau. L’homme l’a reçu ». (Coran 33:72)
Il est important de contextualiser la notion de khalifa à travers le verset 40:59 qui dit: «La création du ciel et de la terre est plus merveilleuse que celle de l’homme».
Cela signifie que la terre est la plus grande forme de la Création alors que les humains en sont une forme inférieure. À cet égard, nous, les humains, devons assumer nos responsabilités dans un cadre d’humilité – et non de supériorité – en mettant l’accent principalement sur la protection de notre terre.
Il est intéressant de noter que, du point de vue coranique, la terre et ses ressources sont destinées à être utilisées tant par les humains que les animaux. «Il a formé la terre pour ses créatures.» (Coran 55:9)
Ainsi s’ajoute une couche supplémentaire de responsabilité sur les êtres humains qui doivent permettre le droit des animaux à profiter de la terre et de ses ressources.
Choisir la Terre
En tant que musulmane, adopter un régime alimentaire 100% végétal, protéger les animaux et l’environnement et une façon de remplir mon mandat spirituel. Il y a d’autres musulmans qui ressentent les choses de cette façon.
Bien sûr ce n’est pas toujours le cas, puisque certains musulmans ne sont pas influencés par la foi.
Et si nous ne pouvons pas tous être d’accord sur l’adoption d’un régime végétarien ou vegan, peut-être pouvons-nous nous mettre d’accord sur un point: peu importe la voie que nous choisissons, elle devrait porter un engagement à protéger notre ressource la plus précieuse – notre planète.
Texte traduit par David Chauvet et Sébastien Sarméjeanne pour l’association Droits des Animaux.
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