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Thich Nhat Hanh, apôtre de la non-violence

Le moine bouddhiste Thich Nhat Hanh a prôné la paix toute sa vie. En 1967, Martin Luther King voulait que le Prix Nobel de la Paix lui soit attribué pour son engagement contre la guerre du Vietnam.

Entretien avec Céline Chadelat, co-auteure de Thich Nhat Hanh, une vie en pleine conscience, qui raconte son parcours.

Vous écrivez un livre sur Thich Nhat Hanh, un moine star aux Etats-Unis mais qui reste moins connu en Europe. Pourquoi?

Aux Etats-Unis, juste après le 11 septembre, Thich Nhat Hanh a déclaré aux New-yorkais que «le siège du terrorisme se trouve dans le cœur humain». Ses paroles, en phase avec les événements d’alors ont connu un retentissement important. Elles illustraient parfaitement les conseils de son livre «La colère», paru le 12 septembre 2001, une coïncidence étonnante. A cette période, sa cote de popularité aux Etats-Unis est montée en flèche.

En fait, Thich Nhat Hanh a toujours entretenu un lien très particulier avec ce pays. Ce sont les Américains qui ont entraîné le Vietnam, dans la tragédie de la guerre civile. Et c’est ce même peuple américain qu’il a fallu convaincre de l’absurdité de la guerre au Vietnam. En 1966, quand Thich Nhat Hanh se rend aux Etats-Unis dans l’intention de parler de cœur avec cœur avec les Américains, il y reçoit un très bel accueil de la part de l’élite intellectuelle.

Il était d’ailleurs proche de Martin Luther King…

Oui, il s’est rapidement lié d’amitié avec Martin Luther King Jr, qu’il a convaincu de se prononcer officiellement contre la guerre.

D’ailleurs, quelques années plus tard, il a pensé s’installer aux Etats-Unis sans pour autant se résoudre à l’idée de vivre chez un des protagonistes du conflit qui ravageait son pays. Maîtrisant le français depuis l’enfance, il a choisi de venir en France et plus précisément en Dordogne, au Village des Pruniers. Ici, en France, son statut de réfugié politique l’a tenu à un devoir de réserve.

Qu’est ce que la pleine conscience, qu’il a conceptualisé?

La pleine conscience est d’abord une expérience avant d’être une théorie. La pleine conscience consiste en une attention accrue à l’instant présent grâce à l’attention sur notre souffle. C’est pourquoi, ce terme peut se traduire aussi par «pleine présence» ou «pleine attention».

L’expérience de la pleine conscience procure une détente et une joie sans pareil. La voie de Thich Nhat Hanh propose également cinq entraînements à la pleine conscience : le respect de la vie, la générosité, la responsabilité sexuelle, l’écoute profonde et la parole aimante, une consommation raisonnable.

Thich Nhat Hanh dit que «Vous avez rendez-vous avec votre vie dans le présent. Si vous ratez ce rendez-vous, vous risquez aussi de rater votre vie».

Alors, comment atteindre le bonheur?

«Vivre en pleine conscience, ralentir son pas et goûter chaque seconde de chaque respiration, cela suffit» dit Thich Nhat Hanh. Vivre pleinement au présent demande de revoir notre rapport au temps.

C’est le retour au souffle qui nous permet de nous souvenir que notre vraie demeure est ici et maintenant. Cela demande de la simplicité et à un renoncement joyeux à nos sources d’attachement. Thich Nhat Hanh, lorsqu’il a rencontré les dirigeants de Google a été très clair. Il leur a dit: «Entre le bonheur et être numéro 1, il faut choisir».

Quelle est la position de Thich Nhât Hanh envers le monde moderne d’aujourd’hui?

Le zen possède un côté irrévérencieux, comme toutes les spiritualités qui enjoignent d’expérimenter l’amour dans sa pleine vérité, dans sa pleine puissance. Le bouddhisme énonce simplement une évidence: celle que vous ne pourrez jamais résoudre un conflit avec quelqu’un si vous ne pouvez vous mettre à sa place et appréhender en profondeur les raisons qui l’ont poussé agir tel qu’il la fait.

Pour cela, il faut savoir écouter avec le cœur et l’esprit. Dans son travail pour mettre un terme à la guerre du Vietnam, Thich Nhat Hanh s’identifiait aussi bien aux GI’s qu’aux paysans victimes des bombardements de ces derniers.

Plus tard, ce fut tout aussi bien le trafiquant d’armes que l’enfant soldat. Ce qui l’intéresse, c’est l’homme derrière les actes. Pour lui, ce dont on a le plus besoin, ce sont de personnes capables d’aimer et de ne pas prendre parti afin qu’elles puissent englober l’intégralité de la réalité. Il ne s’agit pas de se désengager, au contraire, c’est d’un engagement total qui implique d’embrasser aussi bien la beauté que la noirceur du monde dont il est question. Le bouddhisme nomme cette noirceur, «souffrance».

Sans la confrontation à cette souffrance, on vit en superficie. Les chances de voir toutes les dimensions de la réalité, qui seules permettent d’atteindre un bonheur durable, sont compromises.

Et pour le terrorisme?

«Les racines du terrorisme sont l’incompréhension, la peur, la colère et la haine, et les militaires ne peuvent pas les repérer. Les missiles et les bombes ne peuvent pas les atteindre et encore moins les détruire» soutient Thich Nhat Hanh.

Au cours de mes recherches, j’ai rencontré un garçon de trente ans, Alexis-Michel Schmitt-Cadet, pratiquant de pleine conscience dans la voie proposée par le moine. Il a perdu son cousin Eric au Bataclan. Eric était père d’un petite fille et sa femme était enceinte de leur deuxième enfant. Pour Alexis, ce fut une souffrance sans nom. Il a eu le choix, il aurait pu céder à la colère et la vengeance. Il a sciemment choisi de ne pas s’identifier à la haine et d’engager un chemin de guérison pour sortir de ce cercle de souffrance.

La lettre qu’il a écrite est transposée dans le livre. Il m’a confirmé aussi combien rencontrer en tête à tête Salah Abdeslam (ndlr: terroriste impliqué dans les attentats du 13 novembre 2015 qui ont fait 130 morts en région parisienne) serait précieux pour lui. C’est un exemple qui montre que non seulement dépasser la haine est envisageable mais surtout qu’un travail de guérison est possible.

Si Thich Nhat Hanh le peut, si Alexis le peut alors nous le pouvons tous. Quand Thich Nhat Hanh revient au Vietnam après quarante ans d’exil, il organise des cérémonies de réconciliation et de guérison parmi une population divisée et encore meurtrie, avec de très beaux résultats. Je les décris dans le livre.

Encourage-t-il aussi une voie non-violente envers les animaux?

Oui, la voie de Thich Nhat Hanh tend à réduire la souffrance collective. Dans ce sens, comment admettre la responsabilité, ou la complicité de la souffrance envers les animaux? Il respecte toutes les formes de vie. Par exemple, au monastère de Deer Park, dans la région très sèche de San Diego, il y a de nombreux serpents venimeux.

Au début les nonnes en trouvait partout. On leur a conseillé de les tuer. Mais le monastère a décidé de vivre en paix avec les serpents. Ceux qui restaient étaient attrapés à l’aide d’un tube puis relâchés dans la montagne. Les serpents ont peu à peu quitté les lieux.

D’autre part, la philosophie bouddhiste et son principe d’interdépendance entre tous les êtres et la nature exhorte à penser aux répercussions de nos actes. C’est pourquoi, au regard de ses conséquences dramatiques, un régime carnée est difficilement supportable. Au Village des Pruniers, le régime vegan est de mise.

Manger en pleine conscience, c’est possible?

Bien sûr! Manger en pleine conscience revient à se nourrir en engageant ses sens et sa conscience. Il s’agit d’apprécier avec le regard, de goûter, de mastiquer en prenant son temps. Sur le plan de la conscience, il s’agit de comprendre la chaîne de conséquences, du travail de la nature jusqu’au manœuvres des hommes, grâce auxquels il est possible de savourer ce gratiné de courgettes.

En se nourrissant ainsi, on se nourrit non seulement de matière mais aussi d’énergie, de gratitude, d’amour.

Dans l’un de vos chapitres, vous titrez que le monde a besoin de héros. En quoi Thich Nhât Hanh en serait-il un?

Pendant la guerre du Vietnam, si vous osiez parler de paix, vous étiez un traître. Thây (le nom donné par ses proches) aurait pu rester dans l’enceinte protégé de son monastère, il a osé se confronter au monde. Il était concerné. Lorsqu’on a le courage de faire face à la souffrance que fut cette guerre sans jamais rien dénier ni omettre, dans une entière maîtrise de soi tout en conservant optimisme et compassion à l’égard de ceux que tous déclare comme des ennemis, cela relève de l’héroïsme.

Lui n’a pas vu d’ennemis, simplement des adversaires. Des adversaires pour progresser intérieurement. Il marchait sur un fil. Dans les contes, les héros sont auréolés de gloire sur leur cheval blanc. Mais on ne voit pas toujours qu’ils sont en proie à de périlleux combats intérieurs.

La force de Thich Nhat Hanh est d’agir pas à pas, au rythme du souffle et dans le retour au présent. Quand les choses sont clarifiées, les nœuds intérieurs dénoués, l’environnement s’apaise, la paix s’impose. La paix est la seule victoire.

Thich Nhat Hanh, une vie en pleine conscience, Presses du Châtelet, Céline Chadelat et Bernard Baudouin, 2016

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Cédric Garrofé

Journaliste et fondateur de Vegemag, il s'intéresse à la cause animale depuis près de 15 ans. Il a remporté le Prix Suva des Médias en 2018 et un Online Journalism Awards en 2017 avec la rédaction du média «Le Temps».