Éducateur en éthique animale pour l’association Welfarm, puis pour GAIA en Belgique où il a initié la démarche GAIAkids, Dominic Hofbauer a rejoint L214 en 2017. L’association de protection animale ouvre un site pour encourager les jeunes à tendre vers une relation aux animaux plus respectueuse. Il évoque cette démarche.
Vous lancez L214 Éducation, quel est son objectif?
Il s’agit d’une démarche pédagogique et informative qui s’appuie sur l’état des connaissances scientifiques et sur les lois de protection animale.
L’idée ce n’est pas de donner un cours ou de livrer un message formaté, mais de porter à la connaissance des élèves un savoir scientifique – avec des éléments de biologie, d’éthologie – et d’ouvrir sur cette base un espace de réflexion et de discussion autour d’une question simple: comment est-ce que le fait que les autres animaux sont, comme nous, les sujets de leur propre vie, qu’ils ressentent comme nous ce qui leur arrive, comment est-ce que ça engage notre responsabilité dans les différentes relations que nous entretenons avec eux?
Pour le dire autrement, ce n’est pas parce qu’un animal est différent ou qu’on ne peut pas communiquer avec lui par le langage qu’il n’a pas sa propre vie, qu’il n’a pas sa propre perception des choses, qu’il ne donne pas une valeur à ce qui lui arrive, à ce qu’il subit, ou à la relation qu’on lui propose.
Comme le philosophe Jeremy Bentham le notait dès le XVIIIe siècle, la question à se poser indépendamment de l’espèce des individus n’est pas «peuvent-ils raisonner?» ou «peuvent-ils parler?» mais «peuvent-ils souffrir?».
Que comptez-vous proposer?
Je crois que beaucoup de gens associent L214 aux vidéos d’enquête en élevages et en abattoirs qui ont fait notre réputation, mais que peu de gens savent que le travail de L214 est beaucoup plus diversifié.
Pour faire reculer la souffrance des animaux, diminuer le nombre de victimes animales, démocratiser les alternatives végétales, notre action va de la publication de sites d’information nutritionnelle ou de synthèse scientifique, à l’observation des positions du personnel politique sur la question animale, en passant par des relations avec des entreprises de l’agro-alimentaire ou le développement d’alternatives végétales dans les restaurants.
Au sein de cet éventail, L214 Éducation constitue ainsi une nouvelle branche, qui vise à concevoir, créer et diffuser des outils éducatifs autour de la question animale pour l’enseignement et le milieu scolaire, qui permettent de réfléchir à tout âge à la responsabilité devant laquelle nous met le fait que les animaux sont sensibles.
Cette approche est-elle réellement efficace?
L’idée n’est pas de dire aux élèves ce qu’ils doivent faire ou ce qu’ils doivent penser, mais de réfléchir ensemble à ce que l’on peut faire, individuellement ou collectivement, pour mieux prendre les animaux en compte dans notre quotidien.
Lorsqu’on travaille autour de l’éthique animale, on travaille ainsi plus largement sur les notions de respect, de considération, on cultive une certaine qualité d’attention aux autres, en particulier à ceux qui sont déconsidérés et vulnérables. En élargissant le champs de notre considération, je crois que notre bienveillance peut à la fois renforcer la qualité de nos relations entre nous, entre humains, et s’étendre dans un même élan vers d’autres individus, assurément différents mais qui sont vivants et sensibles, tout comme nous.
Élargir les valeurs positives de l’humanisme au-delà de notre propre espèce: voilà, je pense, l’objectif à long terme de la démarche L214 Éducation.
Et en quoi consistent vos outils? A qui s’adressent-ils?
Il y a plusieurs outils différents, mais je dirais que les ressources proposées par L214 Éducation ont en commun de travailler sur l’enthousiasme, l’action positive et d’engager la réflexion par une approche ludique et interactive, avec des jeux, des débats, des échanges…
D’une manière générale, notre démarche est attentive à la sensibilité des élèves, et un soin particulier est porté au vocabulaire, au choix des images: il s’agit de se mettre à hauteur d’enfant. La collaboration avec les enseignants et la pertinence vis-à-vis des programmes est aussi indispensable: pour un professeur, le recours à une ressource extérieure n’a de sens que si elle répond aux objectifs de son programme et s’intègre dans la progression pédagogique qu’il ou elle a mis en place.
Nos outils se déclinent en fonction des niveaux de classe et des disciplines/matières enseignées. Tout d’abord, les supports pour l’enseignement primaire ont été mis au point en partenariat avec la Fondation 30 Millions d’Amis. À ce stade, ils se composent d’une série de six posters pour la classe rappelant l’article 515-14 du Code civil : « Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité », et qui accompagnent deux thèmes d’animations spécialement conçues pour les jeunes élèves: «Un animal comme toi» et «Un animal, des animaux.» D’autres outils pour le primaire sont en cours de réalisation.
Et en quoi consistent vos outils?
En collèges et lycées, sur le thème des enjeux éthiques, humanitaires et environnementaux qui interrogent les systèmes d’élevage pour la consommation, nous proposons une exposition gratuite, un dossier pédagogique et une conférences-débats intitulés «Nourrir l’humanité, enjeux et alternatives pour l’agriculture», qui s’ajoutent au thème «Quels droits pour les animaux?» parmi les conférence-débat que nous proposons pour le lycée, voire pour l’enseignement supérieur.
Ces outils se trouvent rassemblés au sein d’une mallette pédagogique virtuelle, où les enseignants trouveront également une bibliographie, des ressources Internet ainsi qu’une collection de vidéos pédagogiques pour l’enseignement. Tous nos outils sont librement téléchargeables et peuvent être commandés gratuitement pour l’enseignement via notre boutique en ligne.
Mais les élèves sont-ils vraiment intéressés par l’éthique animale?
En primaire, il y a chez les enfants une proximité spontanée avec les animaux, qui ne demande qu’à s’exprimer et à prendre forme. Je crois que c’est important de montrer que leur sensibilité n’est pas propre à leur âge, et que ce n’est pas quelque chose qu’ils vont devoir abandonner en grandissant. Par exemple, la personnalité et la sensibilité des animaux de compagnie, dont les enfants sont souvent proches, est une bonne porte d’entrée pour s’interroger sur le sort d’autres animaux dont ils connaissent moins les conditions d’existence (souvent problématiques).
Chez les plus grands, la formule vidéo + débat fonctionne bien, et permet des échanges poussés sur des réalités qu’ils connaissent souvent assez peu aussi.
Nous sommes aussi très sollicités par des élèves de Première qui choisissent de travailler sur la défense des animaux dans le cadre des Travaux Personnels Encadrés (TPE).
Vous souhaitez peser parmi d’autres organisations déjà présentes dans les écoles?
Les filières d’élevage – via Culture-Viande, le CNIEL ou Interbev-Pédagogie, par exemple – investissent depuis longtemps beaucoup de moyens financiers dans le secteur scolaire: brochures, interventions en classe, sorties scolaires, etc.
La situation est rendue un peu étrange par le fait que ces structures ont un statut associatif, c’est-à-dire à but non lucratif, alors que ce sont en réalité des associations de professionnels, qui ont donc un intérêt économique.
Il y a un réel besoin de rétablir un minimum d’équilibre dans les discours qui sont tenus sur l’élevage par des intervenants extérieurs à l’école – qui sont généralement des discours promotionnels et orientés.
L214 revendique l’arrêt de la consommation des animaux et des autres pratiques qui leur nuisent. Comment comptez-vous vous positionner face à des jeunes?
Nous sommes dans une démarche pédagogique et informative, il n’est pas dans nos intentions de dire aux élèves (ou à qui que ce soit) ce qu’ils doivent manger ou pas, ou dans quelle direction ils doivent penser.
La question des différentes formes d’alimentation peut venir sur le tapis, en effet, dans le cadre d’une animation sur les animaux d’élevage telle que nous la proposons à partir du cycle 3. Je dirais que notre rôle, c’est alors d’accompagner ce questionnement sans être prescriptif, et de présenter objectivement les différentes positions qui existent (manger moins de viande ou être attentifs aux labels, se nourrir sans viande ou sans produits animaux, avec des exemples de plats ou de célébrités engagées, par exemple) et quels impacts elles peuvent avoir. Les élèves ont parfois envie de savoir comment je mange moi, alors je leur dis.
Le monde actuel peut se montrer violent dans les rapports entre les hommes. Le sort fait aux animaux en est-il oublié?
Oui, c’est possible, et c’est une démarche compréhensible et légitime que de se demander quels sont les problèmes qui génèrent le plus de malheur et de souffrance, et de s’interroger sur comment y remédier.
À ce sujet, en primaire et désormais en secondaire, il existe depuis peu des cours d’enseignement moral et civique (EMC) qui amènent les élèves à réfléchir aux valeurs de liberté, de respect, de tolérance, de responsabilité, d’engagement, etc.
Les programmes sont larges: ils embrassent, par exemple, les questions de la faim dans le monde, du racisme, de l’égalité des sexes, de la liberté d’expression, des guerres, du fonctionnement de la justice…: autant de questions éthiques qui traversent la société. Dans ce cadre, plusieurs manuels pour l’enseignement développent des chapitres sur la défense des animaux, qui est un thème bien identifié comme une manière parmi d’autres de travailler sur le respect, la considération pour autrui et la solidarité.
La sensibilité des animaux nous place ainsi devant une responsabilité à laquelle nous sommes amenés à réfléchir collectivement. On a d’ailleurs vu la question animale surgir dans l’un des sujets de philosophie du Bac L en 2015, «Respecter tout être vivant, est-ce un devoir moral?». Voilà une excellente question, que l’on peut vraiment se poser à tout âge, de 7 à 77 ans.