Ce soir, chez Mehdi, on fête l’Aïd entre végétariens. Pour cette occasion, il a invité deux couples d’amis (Samia et Rachid, Romane et Abdel). Dans les assiettes, pas de mouton, mais un copieux plat d’épinards à la marocaine avec une salade de pois chiches, «pour les protéines», accompagné de haricots blancs et d’un pain spécial fait maison.
Rencontrés sur un forum, ils font partie de la petite communauté française des végétariens musulmans. Ils ont découvert ce mode de vie au hasard d’une allergie, d’un régime ou d’une discussion entre amis, avant de l’adopter par conviction.
Pratiquants, ils ont étudié le Coran, les Sunna du prophète (recueil de pratiques) et fouillé le web, à la recherche d’arguments théologiques permettant de concilier choix alimentaire avec leur foi. Ce soir, à les entendre, on finirait par penser que le végétarisme pourrait être le régime alimentaire de tous les musulmans.
Le sacrifice du mouton, un rituel désuet
Mehdi lance le débat: «Beaucoup croient qu’être végétarien et musulman est impossible, car les Sunna disent que pendant la fête de l’Aïd, il est faut manger une partie du sacrifice. C’est faux!»
Certes, la «grande fête» évoque l’épreuve d’Ibrahim, auquel Dieu ordonna de sacrifier son fils Ismail, avant d’arrêter son geste et lui proposer de tuer, à sa place, un mouton. Pour autant, ce sacrifice «n’est ni un pilier de l’Islam, ni une obligation majeure comparable à la prière ou au jeûne du Ramadan», comme le confirme l’ancien Grand Mufti de Marseille, Soheib Bencheikh.
D’ailleurs, le droit musulman permet de remplacer ce meurtre par un don aux pauvres. Cela fait dire à Rachid que, «ce rite [de tuer le mouton] est plus une histoire de tradition que de religion.»
Le théologien Gamal Al-Banna considère que le Prophète aurait voulu que les croyants soient en bonne santé et qu’ils ne détruisent pas leur environnement.
«Si quelqu’un pense que ne pas manger de viande correspond à ces desseins, être végétarien n’est pas antimusulman» affirme-t-il.
Ajoutons que le prophète Suleyman, et le courant Soufiste, certes minoritaire, prônent eux-aussi le végétarisme.
Mahommet, un ami des animaux?
En préparant le thé, Samia avance un autre argument, historique cette fois: «A l’époque du prophète (600 après J-C), les gens ne consommaient de la viande que très rarement, une fois par semaine environ. Mohammed (Mahommet) était donc quasiment végétarien.»
Dans un même temps, le prophète aurait exprimé beaucoup d’empathie envers les animaux. «Il n’est nulle bête sur la terre ni oiseau volant de ses ailes qui ne forment des communautés semblables à vous» (6, 38) est-il écrit.
Sur ce principe de vie harmonieuse avec les animaux, des Sunna, citées sur le site de l’association Islamic Concerns for Animals, ont interdit la tauromachie ou la chasse sportive et admettent le végétarisme.
Abdel va plus loin. À ses yeux, «l’islam parle tellement de la compassion pour les animaux qu’on se demande pourquoi le Coran autorise à les tuer, et ne nous prescrit pas de devenir végétarien».
La viande halal industrielle n’est plus halal
Tous les invités sont d’accord pour affirmer que l’industrie du halal ne respecte plus les règles religieuses.
«Peut-on encore prétendre qu’un mouton nourrit aux céréales transgéniques, aux farines animales et qui n’a jamais vu la lumière du soleil est encore halal parce qu’il a été égorgé dans les règles?» interroge Mehdi.
De son point de vue, l’Aïd végétarien serait, au final, religieusement plus rigoureux que l’Aïd traditionnel.
Un premier pas vers une nouvelle éthique islamique?
Le végétarisme serait-il donc la meilleure voie pour être un bon musulman dans une société d’abondance? Pour le théologien Gamal Al-Banna, l’Islam doit s’adapter. «Nous ne devons pas demeurer rigides dans notre compréhension de la foi».
Dès lors, le végétarisme ouvre la voie à une nouvelle éthique islamique: droits de l’animal, écologie, solidarité avec le tiers monde. Mais, surtout, il porte un message d’ouverture.
Chacun d’entre eux espère qu’en découvrant l’existence de musulmans végétariens, les gens comprendront que l’Islam n’est pas une religion violente, et s’affirmer comme moderne et progressiste.
«Pour moi, l’Islam est une religion écolo. Dans le Coran, la nature est la plus grande forme de la Création divine. Et le rôle du musulman est tout simplement de maintenir l’harmonie dans la nature» résumé Romane.
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